The writting of history of contemporary art
International symposium at Tianjin Academy of Fine Arts, China, november 2011. Du récit politique au récit anthropologique, un changement de paradigme contribution de François Legendre, enseignant d'histoire de l'art et de sémiologie à l'École d'art d'Arras (France).
Écrire sur l'art contemporain relève d'un double défi pour l'historien de l'art : d'abord parce qu'il n'est pas sûr que l'art contemporain se laisse raconter comme un objet historique bien délimité; ensuite parce qu'écrire sur l'art contemporain présente une difficulté inédite, en ce que depuis trois décennies le récit qu'il tient sur le monde n'a pas seulement évolué, il a changé de nature.
Jusque la fin des années 1970, l'histoire de l'art moderne – et dans l'art moderne je comprends ici les pratiques des années 1960 et 1970, ordinairement rattachées à l'art contemporain mais dont les problématiques représentent l'aboutissement du projet moderniste – a pu être racontée de façon relativement linéaire, car l'art moderne se réalisait lui-même en tant que récit dont la visée émancipatrice recouvrait tout le champ de l'expérience créatrice comme de la vie sociale, l'artiste moderne ambitionnant, depuis le début du vingtième siècle, à changer l'Histoire à travers la révolution des formes pour lui assigner une finalité progressiste. Une histoire en ceci différente de l'historia défendue par Alberti dans son Traité de la Peinture, que l'art moderne, on le sait, n'est plus une forme iconique du récit littéraire, n'ayant eu de cesse que de s'affranchir de l'ut pictura poesis, mais qu'il invente plutôt son propre récit – il fait récit dans l'épaisseur des choses – le récit de sa capacité non plus de représenter le monde, mais bien de le transformer. En cela l'art moderne se raconte comme un récit héroïque qui vise à une libération de ce qui le définit et de ce qui l'excède. Ce qui explique, comme l'a exposé le Professeur James Meyer dans sa communication, que deux conceptions distinctes de la modernité se soient partagées le champ de la critique: une modernité de rupture avec le passé (le Malevitch radical du Carré noir sur fond blanc et du Manifeste suprématiste par exemple) ou une modernité de continuité avec le passé, de plus en plus consciente de la spécificité de son propre langage, comme a pu la populariser Clement Greenberg. Au fond, l'art moderne peut être décrit comme une extension permanente vers sa propre réalisation utopique, tour à tour éviction du sujet figuré dans l'art abstrait, puis du récit extérieur à la seule présence phénoménale de l'objet dans l'art minimal, jusqu'à l'exclusion de l'objet lui-même au profit de l'énoncé, du statement, du process comme autant d'expressions conceptuelles de la spécificité ultime de l'art, in fine libéré de la matière et de son commerce; mieux, l'utopie de l'art moderne ne sépare pas la finalité esthétique de la finalité politique de son récit, de «transformer le monde» de Marx et Trotski à «changer la vie» de Rimbaud puis de Breton, du «c'est notre désir qui fait la révolution» de Constant Nieuwenhuys à «soyons réalistes, demandons l'impossible» de Che Guevara repris par les étudiants de Mai1968. De sorte que l'art moderne contient le récit du monde entier dans la production de son propre récit, puisqu'il se conçoit avant tout comme un acte politique, le prolongement de la critique de l'ordre social par une critique de l'ordre esthétique et idéologique qu'il sous-tend. Les champs de la révolution esthétique et politique se retrouvent ainsi superposés : agir dans l'un équivaut à agir dans l'autre. Ce qui fait que le récit moderniste présente deux caractéristiques remarquables : il est unifié et performatif, il accomplit l'action qu'il décrit.
En revanche, l'art postmoderne, depuis le début des années 1980, ne s'inscrit plus dans ce récit et encore moins dans le même rapport à l'Histoire, dans la même nécessité progressiste de dépassement. Non que le récit se soit arrêté et que cette fin accréditerait par là-même cette autre «fin de l'Histoire» énoncée par Francis Fukuyama, mais le récit de l'art postmoderne s'est déplacé vers une stratégie du récit plutôt qu'une parole performative, vers le métalangage d'une poétique seconde de la feinte, de l'esquive et du refuge. Les historiens d'art se confrontent alors à la difficulté d'exercer leur métier, puisque d'unificateur le récit est devenu compartimenté, atomisé, diffus. L'artiste ne se contente plus de voyager à l'insu de l'historien comme le disait naguère Kenneth Clark, il embraye désormais le récit des errances additionnées d'une humanité désorientée, un peu comme les anges de Wenders dans les Ailes du désir (Der Himmel über Berlin) saisissent hors contexte les bribes du monologue intérieur des hommes qui ne font que passer. Le récit de l'art est devenu le récit particulier de chaque existence, elle-même fragmentée en de multiples segments. En cela, l'art d'aujourd'hui, comme le souligne le Professeur Gao Minglu, ne saurait être perçu comme un objet statique, ni même fait d'objets statiques. L'historien d'art doit plutôt l'appréhender comme un objet social, donc dynamique, mouvant, en expansion; son rôle consistant alors à connecter le récit polysémique de l'art contemporain au récit de la société qui le produit. Mais comment faire lorsque les représentations de cette société sont devenues à ce point volatiles? Comment faire quand le récit de la société postmoderne s'est dépolitisé, lorsqu'il ne s'est pas tout simplement dé-socialisé? Quand ce récit consacre, comme l'écrit Jean-François Lyotard dans La Condition postmoderne, la faillite même des grands récits émancipateurs du modernisme, et plus encore la faillite même de l'idée qu'on peut transformer le monde? Une faillite qui, on le voit, traverse aussi bien les champs de la politique que de l'art, au point que l'idée même de modernité a subi un travestissement sémantique, elle qui exprimait un projet politique de progrès matériel et social, alors que son paradigme néo-libéral, la modernisation, induit l'adaptation forcée de l'individu à la déconstruction de tous les systèmes de solidarité collective. Une autre difficulté survient pour les historiens d'art lorsque, confrontés à cette flexibilité des individus et au défilement du temps médiatique, les artistes contemporains agissent dans l'urgence et non plus dans la temporalité progressive d'une démarche artistique, c'est-à-dire dans une continuité historique repérable. En cela, l'art postmoderne est un art du présent, ce qui ne veut pas nécessairement dire un art d'avant-garde au sens où l'entendaient les modernes, mais plutôt, comme le souligne le Professeur Pamela Lee, un art de l'hic et nunc, de l'ici et du maintenant, un art du présent offert en consommation immédiate, transparent au monde et à l'instant. Ce qui ne l'empêche certes pas de développer une critique souvent incisive et pertinente de la société, mais une critique de la protestation plutôt que de la transformation. L'art postmoderne est un art révolté, un pathos individuel transparent à la souffrance du monde, plutôt qu'un art révolutionnaire de libération, celui d'un Beuys par exemple qui visait, à travers sa «plastique sociale», au dépassement et à la rédemption symbolisée de cette souffrance. La relation au monde n'est dès lors plus performative, elle ne vise plus à sa transformation radicale, elle est devenue descriptive, et l'art postmoderne n'agit plus sur les choses, il les commente. De sorte que faire de l'art aujourd'hui ce n'est plus le pousser dans les derniers retranchements de sa spécificité ou de sa contiguïté avec les champs de la philosophie ou de la politique, ce n'est plus chercher à dépasser une limite. C'est bien plus, comme l'écrit Paul Ardenne, «faire un geste pour s'enfoncer dans la forêt des signes, encore» (1), se perdre dans la globalisation d'un monde en réseaux, se laisser traverser par le flux de la babélisation et de l'incompréhension extensibles jusqu'à la dépossession de son propre langage et la discontinuité de son propre récit. L'artiste raconte désormais le monde par procuration, il a renoncé à inventer son art. Ainsi, le postmodernisme se définit comme une esthétique de la répétition comme le soutient James Meyer, qui fait que, en dépit de la force ou de l'impact de son propos, l'art postmoderne vise au fond à se réaliser comme un art sans qualité. Là où l'artiste moderne recherchait l'originalité, la singularité d'une démarche qui visait à produire de la nouveauté, l'artiste postmoderne perçoit l'originalité comme une valeur déclinante, sinon encombrante, et lui préfère une pratique de l'emprunt dont les référents puisent indifféremment aux productions du passé ou à celles du présent. En cela, comme le souligne James Meyer, le postmodernisme est une théorie du temps qui induit une pratique appropriationniste et non hiérarchisée. Toute histoire devient alors une histoire contemporaine, non pas par sédimentation mais plutôt par assimilation, comme si elle subissait une déperdition de la spécificité de ses moments successifs. Aussi, ne va-t-il pas de soi d'écrire le récit de l'art contemporain, ce d'autant que, comme le relèvent Pamela Lee et James Meyer, cet art évolue dans une culture de la dépréciation du texte (et de la consommation des images), en même temps qu'une culture de défiance vis-à-vis de l'histoire. Comment même penser écrire l'histoire de l'art des décennies postmodernes – alors que l'histoire de l'art procède par définition de l'histoire en tant que science humaine et production collective, aussi bien que du récit en tant que reconstruction unitaire – à notre époque où ne règnent que le discontinu dans le champ social et la privatisation du récit à l'échelle individuelle? Plus grave peut-être, comme l'explique Philippe Dagen (2), la mémoire historique qui reliait naguère les grands artistes modernes aux œuvres du passé a laissé place à une mémoire mécanique – celle de la photographie ou de la vidéo et plus encore, me semble-t-il, celle du montage a-chronologique de la télévision et des médias en général – qui superpose et redécoupe les référents culturels dans un excès de séduction formelle combiné à un déficit de production de sens.
Cette crise des systèmes de représentation et d'action sur le monde rend la tâche des historiens d'art plus compliquée, car l'iconologie qui constitue depuis Aby Warburg et Erwin Panofsy le modèle épistémologique dominant de l'histoire de l'art – en analysant l'œuvre d'art comme la réalisation matérielle d'une vision du monde spécifique à une société, là où la pensée postmoderne ne construit pas véritablement de représentation spécifique, mais agit plutôt par appropriation des modèles antérieurs – n'est plus que partiellement opérante (ce qui, nous le verrons, ne l'invalide pas pour autant). En conséquence de quoi, les historiens d'art doivent changer de paradigme et réexaminer les conditions de la production artistique: passer des référents culturels de la société à son référent économique – l'économie étant le moteur, mieux, le critère de nos sociétés contemporaines – sous peine de ne pas comprendre ce qui produit l'art de notre temps ou du moins ce qui l'affecte. Puisque l'art contemporain, comme le souligne Pamela Lee, est avant tout quelque chose de visible économiquement, cela signifie littéralement qu'il est investi d'une valeur marchande prééminente à toute autre valeur esthétique, sociale ou philosophique (quand il n'est pas tout simplement le support d'une opération de spéculation financière). L'art n'est plus autonome par rapport au marché de l'art, en ce sens que le marché en affecte non seulement la circulation, mais aussi les conditions et de sa perception et et sa production, jusqu'à la qualification même de ses contenus. Toute critique de l'art contemporain devrait produire au préalable une critique des mécanismes du marché de l'art, dont l'impact sur la production artistique de notre temps est, à bien des égards, comparable à celui qu'exercent les médias sur la perception que nous avons du monde; le marché de l'art participant lui-même de ce pouvoir médiatique, de cette capacité à produire de l'illusion, c'est-à-dire à produire des images dans lesquelles une société se reconnaît et délimite son propre système de représentation. Est-ce à dire, pour reprendre la dichotomie de Theodor Adorno, que l'art postmoderne se situerait du côté de l'art conciliant, intégré et diffusé dans l'idéologie dominante du capitalisme mondialisé, et que l'art moderne se situerait sur le versant opposé de l'art inexorable, en rupture avec l'idéologie de la société de consommation de son époque, au point de vouloir sortir toujours plus du champ admis de l'art, à travers les production de l'art minimal et de l'art conceptuel, du Land art, du Body art ou de l'Arte povera par exemple? Non, bien sûr. Car la geste héroïque de l'art moderne, ambitionnant de sortir du marché de l'art est, on le sait, bien plus ambiguë que ne le laissent supposer les déclarations et les actions radicales de l'époque. Les artistes se sont bien financés auprès des mécènes et des institutions, ils ne sont pas sortis d'une économie capitaliste de l'art et ils en avaient pleinement conscience; c'était de toute façon inévitable et ce fait n'invalide évidemment pas la force et la pertinence de leurs propositions. D'une certaine manière, les choses sont aujourd'hui plus claires, car faire de l'art c'est entrer de plain-pied dans la globalisation et par là-même dans la dimension capitalistique de son économie. On ne sort désormais que plus difficilement du marché de l'art, car ce marché a maintenant la capacité d'intégrer et de digérer tout ce qui l'excède. Il agit comme un trou noir qui aspire toute la matière à lui, et il se confond plus que jamais avec le paysage artistique qu'il a contribué à installer. Et c'est là, paradoxalement, que la situation redevient intéressante, car les artistes ont appris à composer avec le marché de l'art à travers des attitudes si diversifiées que le paysage de l'art postmoderne est tout, sauf unidimensionnel. Les uns développent en effet des stratégies d'intégration au marché, ils revendiquent l'assimilation de leur art au flux médiatique et au spectacle (parfois sexualisé) de la production capitaliste. Jeff Koons est, de ce point de vue, un artiste emblématique, même s'il convient de relever que sa posture est plus ambivalente qu'il n'y paraît à première vue, car sa production adhérente aux critères du marché de l'art n'est pas séparable d'une parodie de ses mécanismes d'esthétisation et d'exhibition. Les autre imaginent des stratégies de subversion du marché (dans le sens élargi de sa définition économique dont le marché de l'art n'est qu'un segment), plus difficilement repérables, en détournant ses mécanismes de diffusion et les formes commerciales de son langage afin d'invalider les représentations fallacieuses qu'il fournit à la société. Beaucoup de ces artistes se situent dans la mouvance néo-conceptuelle comme Jenny Holzer par exemple, ou simulationniste comme Cindy Sherman et, d'une autre manière plus radicale encore, Orlan. Beaucoup aussi perturbent ce système de représentation par des affects désagréables (Damien Hirst, Jana Sterbak, les artistes trash ou ceux de la Bad painting), par un questionnement social (Jeff Wall, JR) politique (Anselm Kiefer, Peter Halley) ou plus largement culturel (Wang Qingsong); les formes de cette subversion sont en réalité multiples et très fluides. On ne sort donc pas du marché de l'art, on s'en accommode ou on le parodie. Ce qui ajoute sans doute à la confusion ambiante, d'autant qu'en matière d'art le double jeu est toujours possible, même s'il n'en demeure pas moins que le jeu auquel se livrent les artistes contemporains vise surtout, on le voit, à imaginer toutes sortes de stratégies d'évitement. En effet, l'art postmoderne, à travers sa relecture lucide de l'histoire de l'art, son antiformalisme et sa critique de la représentation, incline volontiers vers la figure, le symbole, la narration, la dérive; en un mot vers le récit, fût-il multiple, tortueux, secret. Un récit dans lequel le métalangage sert de valeur refuge et où les artistes cherchent une alternative à l'emprise de l'économie sur nos existences, comme si l'enjeu était de préserver, dans une ultime tentative dès lors emprunte de mélancolie, cette part résiduelle de notre imaginaire non encore façonnée par les médias ou les produits de l'industrie culturelle.
Il convient donc, pour écrire l'histoire de l'art contemporain, d'intégrer le champ de l'économie mais aussi de prendre en compte ce qui lui résiste, à commencer par cette fonction de réinvention permanente du récit à travers laquelle l'art postmoderne fait discours sur le monde plutôt qu'il ne fait retour sur lui-même. Un discours discontinu assurément, car il prend en considération un monde élargi bien au delà du champ politique (qui, il est vrai, n'est plus désormais prégnant) pour s'emparer du fait social, questionner la figure humaine ou coproduire avec la nature, avec sans doute ici une prédilection toute kantienne dans un contexte de désenchantement écologique, puisque beaucoup d'artistes, parmi lesquels nous pourrions reconnaître Nils-Udo, Wolfgang Laib, Andy Goldsworthy ou Richard Long, reconsidèrent le beau naturel en tant que matrice du beau artistique. Et c'est dans cet élargissement du champ d'investigation de l'art contemporain que l'iconologie retrouve toute sa pertinence, puisque l'enjeu est ici d'appréhender l'œuvre d'art comme un phénomène intelligible inscrit dans une réalité sociale, un fait de civilisation caractéristique d'un moment dynamique de l'histoire des idées et d'une transformation des mentalités. Mais au delà de la nécessité de restituer l'art contemporain dans son histoire culturelle comme dans les conditions économiques et sociales de sa production (ce qui suppose d'articuler l'iconologie avec une sociologie de l'art), ce qui fait la spécificité de l'investigation iconologique c'est bien la prise en compte des interactions entre les champs de la production culturelle, particulièrement entre l'art et la pensée, l'art et la littérature et l'art et les sciences. Or, c'est cette dernière interaction qui est quelque peu négligée par les historiens de l'art (peut-être par manque de culture scientifique), alors qu'elle était pour Panofsky, qui a aussi écrit sur l'histoire des sciences, toute aussi déterminante que les deux premières. Il suffit de se souvenir de son interprétation esthétique des réticences de Galilée, tenant de la circularité classique, à admettre les révolutions elliptiques des planètes que décrit Kepler dans son Astronomia Nova, ellipse que Panofsky associe à un signe maniériste (nous pourrions ajouter baroque), probablement perçu chez Kepler comme le résultat de l'entrée du cercle dans l'imperfection de la nature (ce qui aboutit à cette excentricité d'un «cercle à deux foyers»), laquelle imperfection du cercle dérangeait précisément Galilée à cause de l'atteinte qu'elle supposait à la beauté et à la pureté des modèles mathématiques (3). Ce que je veux dire, c'est que là aussi, les historiens d'art doivent changer de paradigme pour comprendre véritablement ce qui se passe dans les profondeurs intimes de la pensée artistique de notre époque. Car les développements contemporains de la physique et de l'astrophysique, de la cosmologie et des mathématiques, de la biologie ou encore de la biochimie et de la génétique, bouleversent notre perception de l'Univers et du vivant, en même temps qu'ils affectent la structure même des œuvres d'art de notre temps : univers en expansion, univers holographique, univers membrane, univers multiples; de l'espace (les dimensions enroulées et les espaces complexes de la Théorie des cordes qu'on peut pressentir dans les formes auriculaires ou buccales des sculptures de Richard Deacon); du temps (le temps étiré et réversible de Bill Viola, le temps biologique et allégorique de Gilbert Garcin, et beaucoup d'autres productions tant les artistes contemporains sont fascinés par les possibilités d'agir sur le temps); et aussi la matière, l'immatériel, la lumière, l'énergie, l'entropie, la croissance, la respiration... Il serait trop long de dresser ici la liste de tous les points de rencontre avec les objets investis par la science et de citer les artistes concernés (et encore nous ne parlons que d'arts plastiques, le champ devient immense si nous incluons la musique, la poésie, la littérature, le théâtre et la danse, ou encore le cinéma). L'essentiel est de comprendre que toutes ces dimensions supplémentaires de notre culture donnent aux artistes la possibilité de réinventer un récit empirique sur ce qui nous définit et nous relie au monde. Et c'est parce que ces interactions sont nombreuses et complexes que le discours de l'art postmoderne, comme de la physique contemporaine d'ailleurs, n'est pas encore unifié.
Surtout, la particularité de ce récit n'est plus qu'il nous invite à refaire le monde, mais qu'il nous engage dans notre présence à lui, dans notre existence même. Nous sommes passés du récit moderne de la fin de l'art au récit postmoderne de la fin de l'humanité, sans bien comprendre toutefois de quelle fin il s'agit : de ce qui nous constitue en tant qu'êtres humains ou de ce qui nous menace. De notre finalité ou de notre disparition. Et ça aussi, l'histoire de l'art doit savoir le raconter.
François Legendre, novembre 2011
(1). Paul Ardenne Art, l'âge contemporain. Une histoire des arts plastiques à la fin du XXe siècle. Éditions du regard, Paris, 1997. (2). Philippe Dagen et Nadeije Laneyrie-Dagen Lire la peinture. Dans le secret des ateliers. Larousse, Paris, 2007. (3). Erwin Panofsky Galileo as a Critic of the Arts, Martinus Nijhoff éditeur, La Haye, 1954. Cité par Alexandre Koyré in Études d'histoire de la pensée scientifique, Presses Universitaires de France, Paris, 1966.
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