Gildas Lepetit-Castel est né en 1979. Après des études d’arts plastiques à Mouscron, il a obtenu un D.E.A. au département d’arts plastiques de l’Université de Lille III. Il enseigne actuellement à l’École d’art d’Arras. Depuis sept ans, Gildas Lepetit-Castel, à bien des égards disciple de Bernard Plossu, entreprend un travail de photographe centré sur la vie urbaine à Londres, en Italie, en Belgique et en France.

De l’illusion photographique comme langage des choses.

sans titre, photographie argentique

La photographie de Gildas Lepetit-Castel est parcourue par une capacité amoureuse à s’émerveiller de la beauté soudaine des petites choses sans importance ou de la beauté des gens surpris à penser ou à agir dans la vaste chambre claire du monde. Car c’est bien de lumière dont il s’agit et le photographe fixe sur pellicule l’empreinte photosensible du sujet capturé dans la chambre noire de l’appareil.
Toute photographie porte cette transformation de la matière en lumière et le travail de Gildas Lepetit-Castel s’inscrit dans cette trajectoire incertaine qui relie l’apparence à l’apparition.
Dans ces instantanés du vivant que sont les clichés de Gildas Lepetit-Castel le monde ne pose pas, il surgit devant nous comme un donné brut, il s’épiphanise au sens rilkien d’une connivence poétique, d’un ressenti pré-réflexif des choses qui échappent un court instant à l’emprise de la raison positive. D’où cette fascination qu’éprouve Gildas Lepetit-Castel pour tout ce qui brille, ce qui reflète, ce qui trompe l’œil au détour d’une vitrine, d’une fenêtre, d’une image dans l’image, mais aussi d’un sol mouillé, d’un éclat de soleil qui vient éblouir un pare-brise.

Gildas Lepetit-Castel aime tous ces dispositifs producteurs d’illusion qui ne se jouent pas tant au niveau des simulacres qu’au niveau sous-jacent de la présence incandescente des choses, de leur réalité fondamentale, tant il est vrai que l’illusion n’est pas un bégaiement de la surface visible des choses, mais qu’elle est avant tout un langage avec ses codes et ses significations dynamiques, une instance du possible, le langage insoupçonné des choses lorsqu’elles passent de l’état de matière à l’état de lumière, un système de signes par lequel le monde nous fait signe, par lequel, à l’instar des épiphanies de Rilke, il parle un langage que nous comprenons enfin, dont nous nous délectons de la transparence soudaine et si fugace, le temps d’une apparition, quelques secondes au plus, avant qu’il ne retourne à la mutité de la matière.
Sans doute, était-ce plus facile avant, au temps où l’herbe était plus verte, au temps de Dubuffet où les gens étaient plus beaux qu’ils ne le croyaient parce qu’ils étaient plus proches du monde, qu’ils parlaient plus souvent au ciel, au vent, à la lumière. Peut-être ou peut-être pas. La nostalgie a beau avoir tort, elle traverse irrépressible les rues et les places de Gildas Lepetit-Castel aussi sûrement qu’elle hante les films de Fellini.

On sent bien que Gildas Lepetit-Castel reste à l’affût d’un je ne sais quoi d’intemporel dont l’écart avec le présent suffit à susciter l’enchantement, l’espace d’une vitrine un peu classique, d’une enseigne décalée, d’une atmosphère raréfiée avec moins d’objets qu’on en rencontre d’ordinaire dans nos villes, afin que les signes flottent avec plus de grâce dans un air du temps quelque peu distancié.

L’air, parlons-en.

La photographie de Gildas Lepetit-Castel respire. L’air y circule entre les objets, car entre l’objet photographié et sa lumière impressionnée sur la pellicule il y a de l’air, un air chargé de photons, de gaz rares et de vapeur d’eau. Et le travail du photographe c’est de savoir photographier l’air, l’air du temps ou celui qu’on respire au coin de la rue, la qualité de sa vibration à chaque instant, à chaque endroit où se pose l’œil. L’air enveloppe et dissout, il vient retirer de la solidité à l’objet pour le rendre plus précaire, plus fugace, plus fragile, mais aussi pour lui conférer un surcroît de vie, de présence érotique, désirante, avant son inéluctable disparition.
L’air ajoute de l’indétermination aux choses et les choses photographiées ont été et ne sont plus.
Il ne subsiste d’elles que l’empreinte lumineuse d’une épiphanie révolue, une rémanence qui n’en finit plus de disparaître et que Gildas Lepetit-Castel ne se résout pourtant pas à laisser filer, à laisser retourner sous la surface visible du monde.

Car son travail d’illusionniste c’est de redonner vie par le pouvoir imageant de la lumière, une vie sans cesse réenfantée dans la cavité utérine d’une étrange boîte noire d’où sortent des êtres assurément plus beaux qu’on ne le croit.

 

François Legendre.